« Ce ne sont pas seulement les auteurs de violences qui sont responsables de leurs crimes, mais aussi ceux qui choisissent de détourner le regard », a affirmé le nouveau Nobel recevant son prix ce 10 décembre, en même temps que la Yézidie Nadia Murad. « Bébés, filles, jeunes femmes, mères, grands-mères, et aussi les hommes et les garçons, violés de façon cruelle, souvent en public et en collectif, en insérant du plastique brûlant ou en introduisant des objets contondants dans leurs parties génitales, je vous épargne les détails », a déclaré dans un discours puissant d’un ton grave et solennel le docteur Denis Mukwege. Récompensé ce 10 décembre aux côtés de la Yézidie Nadia Murad, ex-esclave des djihadistes devenue porte-drapeau de sa communauté, le gynécologue de 63 ans a appelé à renoncer à l’indifférence et à protéger les victimes de violences sexuelles. Lui en costume sombre, elle en robe bleu et noir, tous deux ont appelé de leurs vœux à un éveil des consciences internationales souvent reléguées derrière des considérations mercantiles. « S’il faut faire la guerre, c’est la guerre contre l’indifférence qui ronge nos sociétés », a-t-il encore dénoncé, avec à l’esprit les victimes de son propre pays, la République démocratique du Congo. En cette année 2018, cruciale pour la RDC qui se prépare pour les élections du 23 décembre, les jurés du prix Nobel ont aussi récompensé une voix parmi les plus sévères envers le régime du président Joseph Kabila, davantage entendue à l’étranger que dans son pays. « Mon pays est systématiquement pillé avec la complicité des gens qui prétendent être nos dirigeants », a-t-il affirmé. « Pillé aux dépens de millions d’hommes, de femmes et d’enfants innocents abandonnés dans une misère extrême tandis que les bénéfices de nos minerais finissent sur les comptes opaques d’une oligarchie prédatrice », a ajouté Denis Mukwege, qui s’il ne se prononce pas sur ses ambitions personnelles politiques garde une liberté de ton qui agace un brin Kinshasa. Pour lui, les États doivent mettre fin à l’impunité « des dirigeants qui ont toléré, ou pire, utilisé la violence sexuelle pour accéder au pouvoir », soutenir la création d’un Fonds global de réparation pour les victimes de violences sexuelles, et sortir des tiroirs un rapport de l’ONU cartographiant les crimes de guerre et les violations de droits en RDC.
Au-delà de dénoncer, un appel à l’action
Marié et père de cinq enfants, le Dr Mukwege aurait pu rester en France après ses études à Angers (Centre-Ouest). Il a fait le choix de retourner dans son pays et d’y rester aux heures les plus sombres. Par son combat pour la dignité des femmes, il est de fait devenu le porte-parole des millions de civils menacés par les exactions des groupes armés ou des grands délinquants du Kivu, région riche en minerais. Lui-même dans le viseur, ce fils de pasteur pentecôtiste échappe de peu un soir d’octobre 2012 à une tentative d’attentat. Après un court exil en Europe, il retourne en janvier 2013 à Bukavu, capitale de la province du Sud-Kivu, où des femmes vivant souvent avec moins d’un dollar par jour se sont cotisées pour lui payer un billet d’avion. Entre deux voyages à l’étranger, comme cette année en Irak pour lutter contre la stigmatisation des femmes violées, le Dr Mukwege vit dans sa fondation de Panzi, sous la protection permanente de soldats de la Mission des Nations unies au Congo (Monusco). Comme des milliers de femmes yézidies, sa colauréate Nadia Murad a été enlevée, violée, torturée et échangée par les djihadistes après l’offensive de l’EI contre cette communauté kurdophone du nord de l’Irak en 2014. Les Nobel des autres disciplines ont également été remis ce lundi à Stockholm, à l’exception notable de celui de littérature, reporté à 2019 à cause – paradoxalement – d’un scandale de viol ayant secoué l’Académie suédoise. Le prix consiste en une médaille d’or, un diplôme et un chèque de 9 millions de couronnes suédoises, soit 871 000 euros. RAMA ]]>
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