La récente décision du Chef de l’État gabonais,Brice Oligui Nguema, d’interdire l’exportation de manganèse brut à partir de 2029 et d’exiger sa transformation locale, a créé une onde de choc sur la scène économique mondiale. Si cette mesure est saluée par une grande partie de l’opinion publique gabonaise comme un pas majeur vers la souveraineté économique, elle suscite une vive opposition de la part de puissants lobbies internationaux, habitués à dicter les règles du jeu sur les marchés des matières premières. Mais pourquoi cette décision, en apparence légitime pour un pays producteur, dérange-t-elle autant ?
Se réapproprier la souveraineté économique:
Le Gabon, deuxième producteur mondial de manganèse après l’Afrique du Sud, a longtemps été un simple exportateur de minerai brut. Cette situation, commune à de nombreux pays africains riches en ressources naturelles, prive le pays d’une valeur ajoutée considérable. La transformation du manganèse en ferro-alliages, par exemple, permet de multiplier la valeur du produit final, de créer des emplois qualifiés, de développer des industries annexes et d’accroître les recettes fiscales de l’État. En clair, elle est un levier puissant pour l’industrialisation et le développement économique.La décision d’Oligui Nguema vise précisément à rompre avec ce modèle extractif. En exigeant la transformation sur place, le Gabon entend capter une part plus juste de la richesse générée par ses ressources. Il s’agit d’une affirmation de souveraineté économique, une volonté de ne plus être un simple fournisseur de matières premières à bas coût pour les industries des pays développés.
Qu’est-ce qui contrarie les lobbies internationaux ?
C’est précisément cette ambition qui contrarie les lobbies internationaux, principalement composés de multinationales minières et de traders de matières premières. Leurs intérêts sont multiples et convergent vers le maintien du statu quo :
Premièrement, la transformation locale implique pour ces entreprises des coûts d’investissement supplémentaires dans des usines de traitement, des infrastructures énergétiques et logistiques adaptées. Jusqu’à présent, elles se contentaient d’extraire le minerai et de l’expédier, laissant la charge et les bénéfices de la transformation à d’autres entités, souvent situées dans leurs pays d’origine.
Deuxièmement, la perte de contrôle sur la chaîne de valeur est une préoccupation majeure. En transformant le manganèse sur son sol, le Gabon gagne en autonomie et réduit la dépendance vis-à-vis des marchés internationaux pour la valorisation de sa production. Cela limite la capacité des lobbies à manipuler les prix et à dicter les conditions commerciales.
Troisièmement, la décision gabonaise pourrait créer un précédent dangereux pour d’autres pays producteurs de matières premières. Si le Gabon réussit dans sa démarche, d’autres nations africaines riches en bauxite, en cuivre, en fer ou en pétrole pourraient être tentées de suivre le même chemin. Cette « contagion » de la transformation locale menacerait l’approvisionnement facile et bon marché des industries occidentales et asiatiques, perturbant ainsi les équilibres établis. Les lobbies craignent une remise en question généralisée des modèles d’exploitation des ressources, où la majeure partie de la valeur ajoutée reste entre les mains des entreprises étrangères.
Enfin, la géopolitique des ressources est un facteur non négligeable. Le contrôle des chaînes d’approvisionnement en matières premières est un enjeu stratégique majeur pour les grandes puissances. La capacité d’un pays africain à décider souverainement de la valorisation de ses ressources est perçue comme une intrusion dans un ordre économique mondial où les rôles sont souvent prédéfinis.La décision du Chef de l’État Oligui Nguema, bien que courageuse, ne sera pas sans défis néanmoins .Le Gabon devra faire face à d’éventuelles pressions économiques et diplomatiques. Cependant, elle marque un tournant significatif dans la quête de l’Afrique pour une meilleure appropriation de ses richesses naturelles. Elle envoie un message clair aux lobbies internationaux : l’ère où l’Afrique était uniquement un réservoir de matières premières bon marché touche peut-être à sa fin.
Herton-Sena OMOUNGOU, Rédacteur en chef
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